Variétés oubliées De l'ombre à la lumière
Les anciennes variétés de blé suscitent un nouvel intérêt agronomique et ouvrent des perspectives intéressantes pour la boulangerie, même si pour l'heure elles restent plutôt confidentielles.
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Emmer noir, blé de miracle, Poulette de Tonnerois, Blanc du Morvan, Carré de Sicile, Barbu de Toscane, Rouge de Bordeaux, Touselle rouge de la Drôme… les variétés anciennes de blé tendre sont reconnaissables à leurs dénominations poétiques et leurs épis bigarrés qui offrent un panel incroyable de formes et de couleurs. Cultivées au 19e siècle (surtout) et abandonnées en grande majorité dans les années 1920 et 1950, la plupart d'entre-elles n'existent plus. Toutefois, de très nombreuses semences ont été conservées au Centre de Ressources Biologiques de l'Inra à Clermont-Ferrand. Les plus compétitives sont aujourd'hui à nouveau testées et multipliées au sein de fermes conservatoires bio (membres du réseau Semences Paysannes surtout).
De nombreuses expérimentationssont menées avec l'Inra pour réimplanter d'anciennes variétés dansles terroirs français.
Graines de résistance Si ces blés rustiques intéressent tant la recherche agronomique et l'agriculture biologique (et biodynamique), c'est essentiellement pour leur résistance aux maladies et leur besoin limité en eau et en azote. Les variétés dites « modernes » sont en effet inadaptées aux cultures bio et commencent à souffrir du changement climatique. Mais n'allez pas croire que ces variétés ressuscitées sont forcément la panacée ! En champ, elles tombent à la première averse et les récoltes sont bien souvent décevantes, sans compter qu'au fournil, la pâte est très compliquée à faire lever et à façonner... Il faut se rendre à l'évidence : les blés sortis des collections de l'Inra ne sont plus adaptés à notre environnement et à nos modes de production (même les plus vertueux). Un énorme travail de sélection a donc été entrepris pour réadapter ces blés aux contraintes et attentes actuelles et les faire évoluer en dehors du modèle agricole intensif.
Une philosophie Ce chantier colossal n'aurait certainement pas pu être possible sans la passion et l'abnégation de boulangers-agriculteurs philosophes comme Jean-François Berthellot dans le Lot-et-Garonne (Centre d'Etude et Terre d'Accueil des Blés), Roland Feuillas dans l'Aude (Les Maîtres de mon Moulin) ou encore Bernard Ronot en Côte-d'Or (association Graines de Noé), qui ont oeuvré inlassablement dans l'ombre. « Après plus d'une quinzaine d'années passées à faire des recherches sur la culture, la mouture et la panification de ces variétés, on commence aujourd'hui à obtenir des résultats nettement plus probants. Je peux vous dire aujourd'hui, avec le recul, que ce fut un travail titanesque d'une complexité hallucinante », reconnaît Roland Feuillas, agriculteur, meunier et boulanger à Cucugnan, qui ne cache pas sa satisfaction d'avoir parcouru ce « chemin d'une vie ». Ses efforts font en tout cas le bonheur de ses clients et même des artisans boulangers à qui il livre ses farines spéciales (comme la boulangerie Bonneau dans le 16e arrondissement à Paris) et prodigue son savoir-faire si particulier (au sein de L'Ecole du Pain).
Ressources confidentielles Dans les faits, les artisans qui ont accès à ces farines rares se comptent sur les doigts de la main car les cultures restent encore très marginales, les récoltes très incertaines (les ruptures de stock sont fréquentes) et la commercialisation de ces semences interdite. Ces blés ne circulent que via des échanges expérimentaux non lucratifs en dehors des circuits classiques. Un agriculteur peut en revanche produire pour lui-même des semences non inscrites au catalogue officiel et les utiliser pour faire de la farine ou du pain (qu'il peut vendre). En définitive, ce sont surtout les boulangers-paysans qui peuvent aujourd'hui tenter l'aventure des blés oubliés. À l'instar des viticulteurs-vignerons, être à la fois boulanger et paysan est aussi certainement le meilleur moyen de valoriser convenablement ces mini-productions. C'est ce qu'assurent Laure et Reynald Bernard, installés en couple à Montliotet-Courcelles en Côte-d'Or (Les épis d'Antide) et membres de l'association Graines de Noé. « La transformation et la vente à la ferme nous permettent de bénéficier d'une valeur ajoutée bien plus importante qu'en circuit long. Le fait que le prix du blé ne soit pas indexé sur les cours mondiaux nous permet de conserver une certaine indépendance et une sécurité financière plus rassurantes pour se projeter sur l'avenir », précise Laure.
La panification des farines de blé pauvre en gluten exigequelques adaptations.
Blés de population Si de nombreuses variétés prometteuses restent encore fragiles en termes de qualité et de productivité, les boulangers-paysans semblent avoir trouvé une alternative intéressante : les blés de population (ou blés paysans). Il s'agit d'un ensemble hétérogène de graines issues de croisements libres entre variétés différentes (mais adaptées au même terroir) que l'on récolte et qu'on ressème l'année suivante (et qu'on peut sélectionner en fonction des critères souhaités). « Les variétés anciennes sont plus fortes lorsqu'elles se reproduisent et sont cultivées ensemble. Les aléas climatiques extrêmes sont moins préjudiciables qu'avec les monocultures de variétés modernes. Les résultats en panification sont plus réguliers et plus qualitatifs. Le goût présente un certain effet millésime, ce qui ne déplaît pas aux clients ! », indique Reynald. Les rares farines spéciales issues de blés anciens que vous pouvez trouver sur le marché (dans les circuits de vente directe à la ferme ou les enseignes bio) peuvent donc aussi bien être issues de variétés pures que de blés de population. De toutes les manières, il est préférable, par cohérence, de privilégier les productions locales.
Méthodes de panificationpar Armand Tandeau (publié le 8 mars 2017)
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